bulletin n°11 ** avril 2012 ** fondateur : Philippe Moisand
Philippe Moisand
Le temps a passé si vite depuis la parution du Bulletin n° 10 que nos chroniqueurs habituels, sans doute un peu endormis par la rigueur de l’hiver, n’ont pas fait preuve de leur productivité habituelle et que nous nous sommes trouvés devant un manque cruel d’articles pour ce numéro de printemps. Dieu merci, Gaëtan le Jeune veillait au grain et s’est lancé dans une recherche approfondie sur l’histoire du château avant la date de 1621 que j’avais considérée comme celle de sa construction dans mon article du Bulletin n° 5. Erreur funeste que Gaëtan corrige aujourd’hui dans l’article qui suit et qui remplit à lui seul ce nouveau numéro du Bulletin ( à l’exception d’une annonce en fin de bulletin relative à la création d’une association longchampoise).
Ne vous laissez pas impressionner par la longueur inhabituelle de cet article et n’hésitez pas à vous y plonger. Au travers de notre petite histoire locale, vous y retrouverez celle des Ducs de Bourgogne et même du Royaume de France. Vous aurez la confirmation que l’abbaye rêvée par Gaëtan l’Ancien n’a jamais été qu’une « maison » ou un château, propriété des Chartreux de Champmol. Et vous apprendrez que Longchamp et les villages environnants du Val de Saône ont payé un lourd tribut à la Guerre de Trente Ans qui a ravagé cette région frontière entre l’Empire de Charles Quint et le Royaume de France.
Sur un tout autre sujet, les branches 2 (Duffour/Moisand) et 4 (Moisand/Duffour) organisent le 3 juin prochain, à l’initiative de Sylvain Duret, une cérémonie à la mémoire de Pierre Duffour (voir le bulletin n° 9 de septembre 2011). Elle se déroulera à Gournay sur Aronde (15 km au nord-ouest de Compiègne) où l’avion de Pierre a été abattu à la veille de l’armistice de 1940. Les membres des autres branches sont les bienvenus s’ils le souhaitent et, dans ce cas, verront comment faire en contactant Mylène Duffour Froissart.
Gaëtan Moisand
Ce retour au Château (il s’agit du Château de Longchamp, bien sûr) fait suite à un article de mon frère Philippe, qui remonte à mai 2010 (« Château ou Abbaye ? », bulletin n° 5). Dans son article, Philippe nous rappelait que le Château « aurait pu devenir le berceau de la famille, si après la grande guerre, le propriétaire d’alors, le docteur Bonnardot, avait bien voulu céder à la pression amicale de Gaëtan (senior). Devant l’obstination du propriétaire à conserver ce domaine, dont il ne faisait d’ailleurs pas grand chose, Gaëtan dut se résoudre à faire construire la désormais mythique villa, pour loger sa famille déjà nombreuse … Ironie du sort, le propriétaire décéda peu de temps après l’installation de la famille dans la villa et ses héritiers proposèrent à Gaëtan de lui céder enfin le château ».
Il semble bien qu’après cette acquisition par les Moisand le Château n’eut pas de destination très précise, en tout cas personne de la famille n’y vécut. Toutefois, en 1945, il connut une nouvelle vie en devenant le siège du Centre d’Apprentissage aux métiers de la faïence fraîchement créé. Philippe précisait dans son article : « Aujourd’hui, les bâtiments anciens disparaissent un peu derrière les constructions nouvelles qui sont venues s’ajouter au fil des ans pour permettre la croissance de cet établissement, promu maintenant au rang de lycée technique de la céramique » (art.déjà cité, bull. n°5). La plupart de ceux qui ont participé à la cousinade de septembre 2010 ont visité le « lycée Henry Moisand » : guidés par Mr Berthet, le Proviseur, ils ont non seulement parcouru les ateliers mais aussi découvert le Château.
(photo en tête du 1er § : le château aujourd’hui)
Deux questions pour un Château
Dans son article, Philippe remontait le cours de l’histoire et nous faisait découvrir la vie du Château, plus particulièrement celle de ses occupants, les Chartreux, du début du XVIIème siècle jusqu’à la Révolution. Il laissait toutefois ouvertes quelques questions, qui sont à l’origine de ce « retour », la tentation ayant été forte d’en chercher les réponses.
La première question concerne la date de construction du Château. Il y a eu pendant un certain temps une plaque à l’entrée de la demeure indiquant une date (1621), mais il est certain que la construction du Château est plus ancienne. On peut donc supposer que la plaque célèbre une rénovation ou un agrandissement important de la demeure, mais que le Château avait été construit avant. Avant ?… Bien avant ?… Mais alors, quand ?
La deuxième question tourne autour du « mystère » contenu dans le titre de son article : est-ce un château ou une abbaye ? Philippe optait pour le Château, malgré la devise de la Faïencerie dont Gaëtan est l’auteur : « A l’ombre de nos grands bois, non loin des vignes savoureuses et tout près du souvenir de notre vieille abbaye, nous travaillons sans autre orgueil que celui de notre bonne renommée ». Sans aucun doute, et n’en déplaise au grand Gaëtan, il s’agit bien d’un Château et non d’une Abbaye. Mais alors, comment comprendre que des moines aient vécu « la vie de château » pendant deux siècles au moins, voire davantage s’ils étaient déjà là avant le XVIIème siècle ? Et question subsidiaire à cette deuxième question : comment se fait-il que ces moines soient des Chartreux et non des moines de l’ordre de Cîteaux ? Pourtant, les Cisterciens avant d’essaimer dans l’Europe entière ont commencé par créer des communautés proches de la fondation d’origine, c’est-à-dire en Bourgogne : pourquoi dès lors ne sont-ils pas présents à Longchamp, distant d’à peine 20 kms de Cîteaux ?
(photo de titre intercalaire : le château vers 1900)
Il m’a fallu pas mal de temps pour en arriver à … une évidence : les propriétaires du Château de Longchamp sont les « Chartreux de Dijon », selon l’article de Philippe, or il n’y a jamais eu d’autres Chartreux à Dijon que ceux de la Chartreuse de Champmol, donc les Chartreux de Longchamp ne font qu’un avec ceux de la dite Chartreuse.
C’est donc du côté de celle-ci, fondée à la fin du XIVème siècle aux portes de Dijon, qu’il fallait faire des recherches pour espérer découvrir des faits inédits relatifs à Longchamp. Et c’est effectivement en cherchant de ce côté-là que j’ai trouvé, la chance m’ayant souri cette fois assez vite.
Mais avant d’aller plus loin, il faut ici faire un détour du côté du Duché de Bourgogne, car sans Ducs, pas de Chartreuse de Champmol et … pas de Chartreux à Longchamp ! S’il y a un lien direct entre la Chartreuse et les Ducs et qu’il y en a un également entre les Chartreux de Champmol et ceux de Longchamp, c’est donc qu’il y en a un aussi entre les Ducs et Longchamp ! La « photo » de titre de cet article, représentation de Philippe le Hardi, Duc de Bourgogne et fondateur de la Chartreuse de Champmol, n’est donc pas là par hasard.
En novembre 1361, Philippe de Rouvre, dernier Duc de Bourgogne de la dynastie capétienne meurt sans successeur direct. Son beau-père, le roi de France Jean le Bon, deuxième roi de la dynastie des Valois, impose le retour du Duché à la Couronne de France et le concède à son dernier fils, Philippe le Hardi en 1363. Le premier Duc de Bourgogne de la maison des Valois (premier Duc de la deuxième race comme disaient naguère les spécialistes) n’a que 21 ans mais il est déjà auréolé de gloire gagnée à 14 ans en restant auprès de son père lors de la bataille de Poitiers contre les Anglais.
Philippe va se révéler aussi hardi dans son nouvel habit de Duc qu’il l’a été sur le champ de bataille. Fils et frère de rois, il a une ambition forte, celle de créer une dynastie autour d’un État puissant. Son mariage avec Marguerite de Flandres en 1369 est clairement au service de cette ambition. A la mort de son beau-père en 1383, tombent dans l’escarcelle du Duché les Comtés de Bourgogne (l’actuelle Franche-Comté) de Flandre, d’Artois, de Rethel ainsi que les Seigneuries de Malines et de Salins (une seigneurie non négligeable, le sel étant à cette époque une matière aussi essentielle que le pétrole aujourd’hui).
Ses descendants, Jean Sans Peur (Duc de 1404 à 1419), Philippe Le Bon (Duc de 1419 à 1467), et Charles le Téméraire (Duc de 1467 à 1477) poursuivront l’œuvre du fondateur de la dynastie. Dans le cadre complexe de la Guerre de Cent Ans, ils mèneront une subtile politique d’alliances, au service de leur volonté d’expansion, tantôt avec le roi de France, tantôt avec le roi d’Angleterre. Dans les années 1450, le Duché a considérablement accru ses possessions flamandes qui correspondent désormais à peu près à l’actuel Benelux et au département du Nord de la France. A la fin du règne de Philippe le Bon, le roi de France se voit même obligé après des défaites successives de céder aux Ducs la Picardie.
(photo en tête de § : Charles le Téméraire, détail du reliquaire à son nom en or, émaux et vermeil, trésor de la Cathédrale de Liège)
Charles Le Téméraire voudra pousser l’avantage en cherchant à réunir le « par-delà » (le duché) et le « par-deçà » (les Pays-Bas). Il sera près de réussir après avoir conquis une partie de l’Alsace et de la Suisse, mais il se heurte au duc de Lorraine allié au roi de France. Il meurt en 1477 lors de la bataille de Nancy : c’est la fin de l’Etat Bourguignon. Le roi de France, Louis XI, met la main sur le Duché, mais le mariage de la fille de Charles, Marie de Bourgogne, avec Maximilien de Habsbourg permet à l’Empire Autrichien de s’emparer des Pays-Bas et de la Franche-Comté. Dans la région de Dijon, la frontière entre le Royaume de France et l’Empire est désormais toute proche, elle se situe aux portes d’Auxonne, non loin de Longchamp qui du coup subira lors de la Guerre de Trente Ans de graves désordres.
La fondation de la Chartreuse de Champmol
Mais revenons à Philippe Le Hardi. Sa volonté de créer une puissante dynastie se manifeste non seulement à travers son mariage, mais également par la fondation d’un lieu symbolique à l’image des rois de France : une chapelle funéraire qui sera comme le Saint-Denis des rois et dont la garde sera confiée à des moines. Philippe le Hardi choisit ceux qu’il aimait entre tous, les Chartreux, « qui de jour et de nuit, ne cessent de Dieu prier pour le salut des âmes, pour la prospérité et bon estat du bien publique, et des princes qui en ont le gouvernement, sous Dieu par qui les roys règnent ». Elle est si profonde, l’affection du Duc pour les Chartreux qu’à l’approche de sa dernière heure, il voudra revêtir leur costume pour y dormir à jamais ! Pourtant, le Duc avait enterré à Cîteaux au début de son règne deux de ses enfants morts en bas âge, mais pour une raison non connue, la préférence ducale pour les Chartreux était plus forte..
Le premier acte de la fondation, en 1378, est l’acquisition d’un domaine, qui comprend « la maison et la terre de Champmol et toutes les appartenances et dépendances d’icelles, assises près de Dijon ». Ce domaine était situé au bas du versant des collines enserrant la vallée de l’Ouche, à l’endroit où elle s’élargit brusquement en débouchant sur la vaste plaine de la Saône, en amont immédiat de la ville de Dijon. Champmol était limité au sud par le cours de la rivière d’Ouche et s’étendait au nord jusqu’à la chaussée d’un étang appartenant à l’abbé de Saint-Bénigne à Dijon et appelé pour ce motif l’étang-l’abbé. C’était la résidence d’été d’une famille de la haute bourgeoisie dijonnaise, les Aubriot, qui obtinrent du Duc pour prix de la vente la somme de 800 francs d’or.
Le projet primitif du Duc était de bâtir l’église de la Chartreuse dans la partie basse du domaine de façon à ce qu’elle soit attenante au manoir existant, destiné à « l’abitacion et la demourance » des religieux. Mais les premiers sondages révélèrent que le sol à cet endroit, proche du lit de la rivière, était trop perméable pour assurer la solidité de l’édifice. Décision est alors prise de reporter la construction sur le coteau et de faire grand en bâtissant à côté de l’église une Chartreuse digne de la sépulture somptueuse que souhaitait Philippe de Bourgogne pour sa dynastie.
Mais les terrains prévus pour l’ensemble de la construction étaient situés en partie en dehors de l’enclos de Champmol, au-dessus et à côté de l’étang-l’abbé. Ces terres couvertes de vignes appartenaient à l’Abbaye bénédictine de Saint-Bénigne. Les négociations pour aboutir à leur acquisition furent si longues qu’on peut supposer que l’abbé y mit beaucoup de mauvaise volonté : était-ce de la jalousie liée au choix du Duc en faveur des Chartreux ? Sans doute mais l’histoire ne le dit pas explicitement… Il est vrai également que Philippe le Hardi est souvent éloigné de Bourgogne pendant cette période pour s’occuper des affaires du royaume de France. Ce n’est que cinq ans après l’acquisition de Champmol, en juin 1383, que la vente des terres de l’abbé de Saint-Bénigne sera signée. Preuve de l’âpreté dudit abbé, celui-ci demande en plus du prix de la vente une indemnité correspondant à l’absence de vendanges cette année-là, la vigne étant arrachée du fait de la vente juste avant celles-ci, et il l’obtient, le Duc acceptant de lui verser 18 francs « pour le fructaige (=la récolte) d’une vigne que Monsgr le Duc a fait acheter pour l’édificcacion des Chartreux ».
La Charte de la Fondation et l’acquisition de la seigneurie de Longchamp
Les travaux commencent aussitôt après la vente, dès juillet 1383 ; en août, la Duchesse pose la première pierre de l’église. Maintenant que l’ouvrage est engagé, Philippe tient à lui donner une consécration officielle et assurer son avenir : ce sera l’objet d’une Charte de fondation établie par acte solennel en date du 15 mars 1384.
Par cette Charte, le Duc affecte en 1er lieu aux Chartreux le manoir de Champmol et toutes ses dépendances existantes ou restant à édifier : « Nous, Philippe, filz de Roy de France, Duc de Bourgoingne, Conte de Flandre, d’Artois et de Bourgoingne, …, fondons et donnons de nos biens propres une maison, lieu et couvent pour vingt quatre moines plus leur Prieur, de l’ordre de la Chartreuse, en notre lieu et manoir appelé Champmol, prez de nostre ville de Dijon du diocèse de Langres, laquelle maison nous voulons estre appelez la maison de la Trinité ».
Ensuite, « Nous donnons, cédons et transportons à l’Ordre et aux religieux dessus diz pour leur vivre et sustentacion toutes les choses qui s’ensuivent pour eulx et leurs successeurs, perpétuelment et héritablement ».
Les choses qui s’ensuivent, ce sont d’abord des droits d’usage dans les carrières et forêts ducales sur les matériaux et arbres destinés à l’entretien des bâtiments et le bois de feu nécessaire à la Communauté : « franc usaige et libérale licence de prandre toutes manières de bois, pierres et aultres matériaux, par tous nos bois, perrières et aultres lieux…, l’usaige (du bois) pour chauffer et ardoir (= brûler) à toutes leurs nécessitez ».
Ce sont ensuite 40 charges de sel, franc de tout impôt, « qu’ils prendront et auront par chascun an sur nos droits et rentes de sel qui nous appartiennent à Salins ».
C’est enfin, et ce n’est pas le plus négligeable, « pour soutenance et provision de vivres, vestures et aultres necessitez » des religieux, une rente « annuelle et perpétuelle » de 1500 livres tournois.
Comme le Duc craint que tout ceci ne soit pas suffisant, il charge en même temps le Receveur Général du Duché, Amiot Arnaut, de faire l’acquisition de fonds de terre qui permettront de compléter l’assiette des 1500 livres tournois de rente. Le Receveur est un grand propriétaire qui a des terres notamment à Brochon, village de la Côte voisin de Gevrey-Chambertin. Deux seigneuries appartenant à la même personne retiennent son attention : elles sont situés à Brochon et à Longchamp et semblent convenir en tous points, notamment parce quelles sont à portée de la Chartreuse. Elles appartiennent à Ysabelle, comtesse de Neuchâtel (en Suisse). Celle-ci est la fille de Louis qui se maria 3 fois, sa dernière épouse étant Jacqueline de Vuillafans ( village de Comté, proche de Besançon). Ysabelle était la soeur de Jehan de Neuchâtel, sire de Vuillafans, qui à la mort du dernier Duc capétien ne voulut pas reconnaître le nouveau Duc et qui avec une compagnie de Comtois et de Navarrais passa la Saône en 1366, ravagea Pontailler et ses environs. On peut supposer qu’il épargna Longchamp, puisqu’il en était le seigneur ! Il finit par être capturé et fut mis en prison au château de Semur où il mourut trois ans plus tard.
Dame Ysabelle, qui a hérité de son frère, ne devait donc pas être en situation très favorable pour résister à la demande pressante du Duc. La vente des seigneuries est signée le 5 janvier 1386. La comtesse vend au Duché pour la fondation de la Chartreuse « toute la terre de Longchamp avec toute la justice, seignorie, hommes, tailles, censes, corvées, mainmortes, pacaiges, estangs, molins, eaux, bois et aultres choses quelconques, ensemble tous les droiz, qu’elle avoit en ladite ville, finaige, territoire et appartenance dudit Longchamp. Et aussi les dismes des vignes qu’elle avait en la ville de Brochon avec les seignories, vignes, homes, censes et autres rentes, drois et biens quelconques immeubles qu’elle avait en la dite ville ». Le prix de vente s’élève à 3300 francs d’or.
On comprend que cet achat n’a pas pour but d’ouvrir une abbaye nouvelle, dépendante ou annexe de celle de Champmol, mais d’offrir aux Chartreux de Dijon des seigneuries qui leur rapporteront des revenus supplémentaires. Ce sont bien des droits seigneuriaux qui leur sont octroyés : rendre la justice, lever les impôts (tailles, cens, corvées), toucher les revenus de la terre (prés, étangs, moulins eaux et bois).
D’ailleurs, l’année suivant l’acquisition, ce ne sont pas des moines qui font le voyage à Longchamp, mais un clerc chargé de percevoir l’impôt : il fait « 3 voiages à Longchamp, à cheval de louaige, alant, venant et besoingnant … à imposer sur les habitants de ce lieu les tailles de Saint Bartholomier » et à les lever. Il n’est donc pas question, du moins lors de l’acquisition de la seigneurie de Longchamp, que des moines de la Communauté des Chartreux s’y installent pour y vivre une « vie de château », mais que celle-ci en tire des revenus.
Dans l’acte de vente de 1386, il est fait mention de prés, d’étangs, de moulins, de bois,.. mais pas d’une demeure. La seigneurie de Longchamp lorsqu’elle est vendue au Duc pour le compte des Chartreux n’aurait donc pas comporté de château ni même de maison seigneuriale ?
En réalité, une demeure, sinon un Château, existait bel et bien au moment de l’acquisition. La preuve nous en est donnée un peu plus tard : en 1389, en effet, les Chartreux reçoivent un don du Duc « en récompensation des despens et missions qu’ils ont fais de leurs propres deniers, … pour retenir… » leur maison de Longchamp. « Retenir » doit se comprendre sans doute comme « soutenir, conforter » : s’il fallait conforter, c’est que la maison était déjà ancienne. La même année, on fait des travaux au « grant estang desdiz Chartreux » dont la digue était en mauvais état ( il s’agit probablement de l’étang de la Tuilerie qui existe aujourd’hui encore à l’orée de la forêt, à proximité de la route d’Auxonne). Après quoi, on l’empoissonne : Guillaume de Maxilly, châtelain de Verdun sur le Doubs, reçoit de Monsgr le Duc, la somme de 180 frans « pour 3000 de carpes prises et achetées de lui, pour les baillier auxdiz Chartreux, pour en poissonner leur estang de Longchamp et leur fossez d’environ leur maison encloux ». C’est cette fin de phrase qui nous importe ici, on pourrait la traduire ainsi : « … pour empoissonner leur étang de Longchamp et le fossé qui entoure leur maison ». On a donc la confirmation que la seigneurie comprenait bien une maison, laquelle était entourée d’un fossé rempli d’eau, certainement destiné à la protéger des attaques extérieures, comme des douves protègent un château.
Château, demeure ou maison ? Nous n’avons pas d’indications suffisantes pour décider de l’importance de la construction, mais il y avait bien en 1386 une demeure à Longchamp que l’on peut qualifier de seigneuriale du fait qu’elle est entourée de douves protectrices, certainement alimentées en eau par l’Arnison, la petite rivière du lieu qui coule à deux pas de la dite demeure.
On notera au passage l’extrême générosité du Duc qui non content d’acquérir pour le compte des Chartreux les seigneuries de Brochon et Longchamp paie en plus de ses propres deniers les réparations de la maison et de l’étang de Longchamp.
Pendant qu’on répare les propriétés acquises et que le Duché en acquiert de nouvelles à Brochon, Fauverney, Darois, Comblanchien, …, les travaux à Champmol vont bon train. La construction de l’église est terminée en premier, elle sera consacrée le 24 mai 1388. Les travaux du cloître sont engagés également, permettant aux moines de s’y installer avant la fin de l’année 1388. Dans les deux cas, toutefois, les finitions et les décorations prendront encore plusieurs années.
Les “ouvriers de tieulle” de Longchamp, lointains ancêtres de la Faïencerie
Beaucoup de corps de métier interviennent sur le chantier de Champmol, et parmi ceux-ci, les tuiliers (ou « tuilliers », ou « thuilliers », ou encore « ouvriers de tieulle ») nous intéressent plus particulièrement. Beaucoup, en effet, sont de Longchamp. On découvre ainsi qu’ au XIVème siècle déjà, une ou plusieurs tuileries étaient en activité à Longchamp, lointaines ancêtres de la Faïencerie. Une ou plusieurs, ce n’est pas si simple de trancher : en effet des noms différents apparaissent dans les registres du Duché, mais pas aux mêmes dates, si bien qu’on ne peut pas savoir avec certitude si plusieurs tuileries de Longchamp ont livré des tuiles et des pavements pour le chantier de Champmol ou si ce n’est pas une seule et même tuilerie dont le nom a changé au gré des successions.
Le plus constant parmi les tuilliers fournisseurs du chantier de la Chartreuse est Jehan Perrin de Longchamp, mais les registres le situent parfois à Dijon, parfois à Montot où existe une tuilerie, qui appartint pendant un certain temps au Duc ou encore à Quetigny. Si bien qu’on peut supposer qu’il était originaire de Longchamp où il a appris probablement le métier mais qu’il a exercé ailleurs. Marie, elle, est sans aucun doute tuillière à Longchamp, elle est dénommée plus précisément « Marie, femme feu Gervoisot, le tuillier de Longchamp ». Elle apparait la 1ère fois dans les registres le 3 novembre 1386, lorsqu’elle fournit « un demy cent de frestières » (= tuiles faîtières). On la retrouve un an plus tard, où de grosses livraisons de tuiles et de pavements arrivent à Champmol : « 46 239 quarreaux de pavements plombés » et 32 750 tuiles, dont « 17 000 plombées ». Les fournisseurs sont Jehan Perrin, qui est cité ici comme « demorant en la thieullerie de Montot » et « Marie, la tuillière de Longchamp ». Il semble que ce soit Perrin qui livre les pavements : il n’est d’ailleurs pas que livreur, il est également chargé de la pose, notamment dans les cellules des moines, les allées du grand cloître et le Chapitre. Marie, quant à elle, fournit les tuiles. En 1388, les approvisionnements continuent, on couvre notamment le petit cloître, les bâtiments du Chapitre, de la cuisine et des fours, mais apparaît cette fois dans les registres non plus Marie veuve Gervoisot, mais « Guillaume, le tuillier de Longchamp ».
Il n’est plus question, les années suivantes, de livraison ni de pose de tuiles ou de pavements : l’essentiel est donc fait. Pourtant, dix ans plus tard, en 1399, pour couvrir le pressoir et l’hôtellerie, construits plus tardivement, les services du Duché commandent 12 000 tuiles à Guillaume, le tuillier de Longchamp. Et deux ans après, grosse surprise, pour réaliser des installations de carreaux dans diverses parties du monastère, un nouveau fournisseur apparaît, qui n’est autre que le … Prieur de la Chartreuse de Champmol lui-même ! Le 10 décembre 1401, en effet, « le Prieur desdiz Chartreux » reçoit 12 frans et 1 gros « pour la vendue de 4500 de pavement plombé, par lui délivré en sa tuillerie de Longchamp … »
L’acquisition de celle-ci doit être toute récente. En effet, il n’en est pas fait mention dans l’acte d’achat de la seigneurie en 1386 et les Chartreux ne sont jamais mentionnés dans les registres du Duché comme possédant une tuilerie avant cette transaction de 1401. Philippe le Hardi a été généreux une fois de plus, car c’est lui vraisemblablement qui l’a acquise et payée pour le compte des Chartreux. Le plus extraordinaire dans le cas présent, c’est que ces derniers livrent des tuiles pour la construction de « leur » Chartreuse (ils se livrent à eux-même en quelque sorte) et le Duché les paye pour cela !
On notera que la tuilerie des Chartreux livre des pavement plombés comme, quelques années plus tôt, Marie avait livré des tuiles plombées. « Plombé », celà signifie « vernissé ». Il s’agit d’un procédé encore peu connu et mal maîtrisé : les tuiles, séchées à l’air, étaient immergées dans un bain d’eau mélangé à de l’oxyde de plomb réduit en poudre ; après cuisson au four, l’oxyde de plomb au contact de l’argile se transformait en silicate de plomb qui formait un vernis jaune, qu’on pouvait colorer en vert ou brun par ajout d’un oxyde de cuivre ou de manganèse. Ce sont les couleurs dominantes aujourd’hui encore des toits bourguignons, sans doute par respect de la tradition parce que les procédés modernes de colorisation des tuiles autorisent désormais bien d’autres couleurs.
(photo de titre intercalaire : tuiles vernissées sur le toit de la villa de Longchamp, respectant les 3 couleurs des tuiles plombées du XIV ème siècle)
Un Duc sans tombeau et des Chartreux sans Duc
En 1404, Philippe le Hardi meurt de la grippe. Il a rédigé en 1386 son testament, deux ans après la publication de la Charte de la Fondation de la Chartreuse de Champmol. Il y confirme sa volonté d’y être enterré :
« Considérant qu’il n’est chose plus certaine que la mort, ni si incertaine que l’heure d’icelle, et que chascun bon chrestien doit ordener de ses biens, j’ordonne mon testament par la manière qui s’ensuit. Premièrement, je recommande mon âme quand elle despartira du corps à la Sainte Trinité, à la glorieuse Vierge Marie et à toute la cour du Paradis. Item, j’établis ma sépulture en l’église du couvent des Chartreux lez Dijon au lieudit Champmol, par moi commencée à fonder… »
Mais la Chartreuse, ornementée des magnifiques peintures et sculptures qui font déjà sa renommée, n’est qu’en apparence achevée, car il manque l’essentiel : le tombeau du Duc, qui est loin d’être terminé ! Son « maistre ymaigier » (= maître sculpteur), Jehan de Marville, est mort en 1389. Parmi les compagnons du maître, l’un d’entre eux va se révéler un très grand artiste, c’est Claux Celoistre, c’est du moins le nom que lui donne les fonctionnaires du Duché qui francisent les noms des peintres et sculpteurs, pour la plupart d’origine flamande. Son vrai nom, celui sous lequel il est passé à la postérité, c’est Claus Sluter. On lui demande tant et il réalisera tellement de chefs d’œuvre (l’oratoire ducal, le portail de l’église, le puits de Moïse,… ) que le tombeau ne sera toujours pas achevé quand il meurt, un an après le duc. Son neveu, Claus de Werve, ne le finira que cinq ans plus tard.
Après la fin de la construction de la Chartreuse, les sources historiques se tarissent sur le quotidien des Chartreux, à Champmol comme à Longchamp et nous manquons d’informations précises, notamment sur la présence des Chartreux à Longchamp tout au long des XVème et XVIeme siècles.
Ce qui est sûr, c’est qu’avec la chute des Ducs en 1477 et le retour du Duché à la Couronne de France, les Chartreux de Champmol perdent leur soutien et leur raison d’être. Et pourtant, il ne semble pas que les conséquences soient aussi graves que cela : leur présence à Champmol n’est pas remise en cause et leur maintien à Longchamp est certain. On peut donc supposer que les engagements pris par Philippe le Hardi à leur égard sont maintenus et respectés : le roi de France les reprend-il à son compte ? Est-ce lui qui paye la rente perpétuelle définie dans la Charte de la Fondation de la Chartreuse ? C’est fort probable … Et si ce n’est pas lui directement, c’est sans doute le gouverneur de Bourgogne, son représentant.
On peut toutefois s’étonner que les droits féodaux que les Chartreux conservent à Longchamp ne soient pas remis en cause. Cela finit toutefois par arriver mais beaucoup plus tard, en 1615, soit près de 140 ans après la chute du Duché. Ceci nous permet de faire la jonction avec l’article de Philippe, en éclairant les évènements qu’il retrace à la lumière de ce que nous savons désormais sur l’origine de la présence des Chartreux à Longchamp.
En 1615, le marquis de Sennecey, gouverneur de la ville et château d’Auxonne, obtient du Roi que les habitants de Longchamp deviennent « retrayants » de la place forte d’Auxonne, décision entérinée un an plus tard par le Parlement de Bourgogne. La retrayance n’est pas spécifique à la Bourgogne, mais elle y est systématisée à la suite d’une ordonnance du Duc Jean : c’est un système de droits et devoirs réciproques entre le seigneur et les habitants d’alentour selon lequel le premier doit assurer le refuge des seconds en cas d’attaque en mettant son château en état de défense et les seconds contribuer à la sécurité du château en entretenant les fossés et la basse-cour de celui-ci.
Les causes de la décision du roi en sont certainement les soutiens que n’obtiennent plus les Chartreux tant à Paris qu’à Dijon et, dans l’autre sens, les appuis dont ne manque pas le marquis de Sennecey, qui fut le président de la noblesse aux États Généraux l’année précédente et qui gouverne Auxonne, place forte stratégique à la frontière du Royaume et de l’Empire. Mais il faut dire aussi que les moines auraient peut-être pu éviter une telle décision s’ils n’avaient pas négligé l’entretien de leur demeure. Les conséquences pour ceux-ci sont désastreuses : leur position de seigneur de Longchamp est contestée avec le risque qu’ils perdent les droits qui y sont attachés, dont le plus important est le droit de lever l’impôt. Rappelons que Longchamp est avant tout une source de revenus pour les Chartreux.
On comprend mieux dès lors leur fièvre soudaine de bâtisseurs : ils rénovent, agrandissent et protègent leur « maison » de Longchamp pour qu’elle ait l’aspect d’une demeure seigneuriale en mesure d’assurer la sécurité des habitants. Après l’avoir fortifiée et dotée d’un bon pont-levis, ils font « curer les fossez qui sont continuellement remplis d’eau » Ils font vite : la plaque qui est apposée à l’occasion de ces travaux et qui porte la date de 1621 en fait foi. Ils se donnent ainsi les moyens d’obtenir une réponse positive à la requête qu’ils font au roi de considérer que le Château de Longchamp est de nouveau en état de défendre les habitants du lieu.
(Photo du titre intercalaire : tombeau de Philippe le Hardi, aujourd’hui au Musée des Beaux-Arts de Dijon)
Longchamp dévasté : les horreurs de la guerre de Trente Ans
Et pourtant, la décision royale n’interviendra que beaucoup plus tard… Il faut dire qu’entretemps l’Europe va s’embraser dans une guerre longue et dévastatrice, la guerre de Trente Ans (1618-1648), qui oppose les Habsbourg d’Autriche et d’Espagne, soutenus par l’Eglise Catholique aux Etats protestants du nord de l’Allemagne et de Scandinavie. La France bien que catholique prend parti contre les Habsbourg tout en cherchant à se tenir à l’écart des combats. Mais elle est obligée de rentrer dans la guerre en 1636 lorsque ses partenaires commencent à essuyer de sérieux revers. Les troupes lorraines de la coalition impériale et leurs terribles mercenaires croates passent la Saône à Pontailler (à 15 kms de Longchamp) le 28 août 1636 : ils incendient toutes les maisons, les hommes capturés sont tués ou brûlés vifs. Tous les villages d’alentour subissent les mêmes ravages. Dijon est tout proche, mais le général en chef des armées impériales, Matthias Gallas, plutôt que de s’en prendre à la ville tout de suite, décide de s’assurer d’une base arrière au bord de la Saône, il choisit Saint-Jean-de-Losne. Avant d’arriver sous les remparts de cette petite ville, les armées de Gallas détruisent la plupart des villages du Val de Saône : Longchamp n’échappe pas à la tourmente. Les habitants de Saint-Jean-de-Losne, épaulés par les quelques soldats de la garnison vont résister victorieusement aux impériaux : 500 hommes tout au plus contre plus de 50 000 ! Les troupes impériales commençaient déjà leur repli quand l’avant-garde des troupes royales arriva sur les lieux.
En se retirant, les coalisés reprirent leurs terribles exactions : Longchamp fut dévasté une deuxième fois. Bien que fraîchement restauré et fortifié par les Chartreux, le Château fut assiégé et envahi au moins partiellement : à l’étage, une porte de bois conserve encore intacts les coups de sabre et d’épée des assaillants. Les chroniqueurs ne nous disent pas si la porte céda ou non… : la question n’est pas tout à fait neutre, la réputation de l’armée de Gallas, la plus cruelle de toute la guerre de Trente Ans, n’étant pas usurpée, la mort fut certaine pour les occupants si les assaillants réussirent à l’enfoncer.
(voir photo de la fameuse porte devant le titre intercalaire).
Les villages du Val de Saône furent tous brûlés et saccagés, leurs habitants furent tués « en nombre infini » et s’ajoutèrent à cette désolation « les maladies de contagion (= la peste) et la famine ». Les « Esleus (Elus) des Estats de Bourgogne » décidèrent en 1643 de faire un état des lieux en procédant à la visite de tous « les feux des villes, bourgs, villages et grangeages ». Le conservateur des Archives de la Côte-d’Or qui édite 2 siècles plus tard les procès-verbaux de la visite des feux de 1643 écrit : « il n’y a personne qui ne dise au bout (de la lecture des procès-verbaux) comme Dante sortant de l’enfer : je revois enfin les étoiles ».
A Longchamp, l’armée de Gallas » brusla plus de la moitié du village et le château fut pris par Clinchamp, dans lequel, depuis le passage de la dite armée jusqu’au temps de la neutralité, les dictz habitans estoient contraintz de se loger et coucher pour éviter les Gabans qui venoient de Gray par les bois ». Les Gabans sont certainement une de ces bandes de mercenaires démobilisés qui ravageaient les campagnes au cours des années qui suivirent le passage de l’armée de Gallas. Lors de la visite des Élus en 1643, le village ne compte plus que 23 habitants « imposées, et parmi icelles 6 pauvres femmes veuves », 2 laboureurs « rentiers (= fermiers) des Chartreux », 23 maisons en mauvais état et certaines inhabitées, le moulin est ruiné, la communauté doit « 50 livres de tailles abonnées chaque an » aux Chartreux et les habitants sont de plus imposés en tant que retrayants de la ville d’Auxonne. A Cessey et Chambeire, petits villages voisins, les habitants ont été « extrêmement incommodés par les Gabans, lesquels emmenèrent tout leur bestail, il y a deux ans environ. Il ont esté contrainz de vendre tous leurs (bois) communaulx, pour païer leurs tailles, tellement qu’il ne leur reste qu’un petit buisson… appelé le Chardenois ». (!!)
Seigneurs de Longchamp à part entière
Dans leur requête au roi, les Chartreux firent valoir à juste titre que la sécurité des habitants de Longchamp n’est pas assurée et que ceux-ci « souffrent beaucoup d’incommoditez, lorsque les lieux dont ils sont retrayants sont eloignez, parce que dans les incursions subites des ennemis ils n’ont pas le temps de pouvoir se sauver, ny leurs meubles.. ». Il est d’ailleurs vraisemblable qu’en 1636 quelques habitants de Longchamp préférèrent se réfugier au Château des Chartreux plutôt que de courir à travers bois à leurs risques et périls jusqu’à la ville d’Auxonne. Les Chartreux, dans la même requête, ajoutent fort adroitement que si le Château avait « esté fourni d’hommes ayant cette retrayance (celle de Longchamp et non plus celle d’Auxonne), ils eurent défaits beaucoup de gens de guerre de la dite armée de Gallas ».
Le 20 avril 1665 enfin, le roi Louis XIV accorda aux habitants de Longchamp, à la demande des vénérables Chartreux, le droit de retrayance au Château du dit lieu. Les Chartreux pouvaient respirer : ils se retrouvaient à part entière les seigneurs du village… Et le restèrent jusqu’à la Révolution de 1789.
Mais ceci est une histoire déjà contée par Philippe, que le lecteur pourra relire, si ce n’est déjà fait, en parcourant à nouveau le Bulletin n° 5.
Je ne pensais pas, en cherchant la réponse à mes questions sur l’âge du château et sur la présence durable de moines à Longchamp, faire un aussi beau voyage dans le temps. Il en valait la peine, tant il aura permis d’en savoir davantage sur Longchamp et son château.
Ce dernier est donc très ancien, 625 ans au moins puisque son existence est certaine lors de l’acquisition en 1386 de la seigneurie de Longchamp par Philippe le Hardi pour le compte des Chartreux. Davantage, si l’on admet que les travaux immédiatement entrepris par les moines après cette acquisition pour le conforter apportent la preuve d’une construction originelle plus ancienne.
Sur 6 à 700 ans d’existence (voire plus, mais cela reste à prouver), le château aura été entre les mains des Chartreux de Champmol pendant 400 ans : un fameux bail ! Ils n’étaient pas que des propriétaires au sens moderne du mot, ils étaient surtout les seigneurs du lieu avec tous les privilèges attachés, dont celui de lever l’impôt.
C’est un château qui n’a jamais été… une abbaye ! La seigneurie de Longchamp a été acquise pour apporter des revenus supplémentaires aux Chartreux de Champmol. Les moines n’y sont venus que de façon épisodique, même s’il est vraisemblable que leur présence a été plus soutenue après qu’ils aient obtenu en 1665 que la « retrayance » revienne à leur château.
Le château dans sa forme actuelle remonte probablement aux travaux réalisés au cours des années 1615-1621 lorsque les Chartreux le fortifièrent et l’agrandirent pour prouver qu’il était en état d’assurer la sécurité des habitants du lieu.
Ce château, fortifié et agrandi, a sans doute permis de sauver des vies humaines lors de la destruction du village par les armées impériales en 1636 et a assuré la protection des habitants de Longchamp dans la période trouble qui suivit.
La tradition céramique est très ancienne à Longchamp, beaucoup plus ancienne qu’on ne le pensait jusqu’à présent. Une tuilerie (ou plusieurs) existait au temps de la construction de la Chartreuse (1386-1400) et a participé à la fourniture de tuiles et pavements pour celle-ci. Cette tuilerie maîtrisait la technique encore peu développée du plombage (vernissage au plomb), ce qui rend plus légitime le fait de la considérer comme le lointain ancêtre de la Faïencerie, puisque le vernissage (ou émaillage) est précisément l’un des savoir-faire du faïencier.
Je formule un vœu pour terminer : si s’arrête ici cet article, espérons que ce ne soit pas pour autant la fin des recherches sur “notre” village et que de nouvelles recherches aboutiront à de nouvelles découvertes tout aussi surprenantes que celles décrites ici.
(photo du titre intercalaire : visite du Lycée Henry Moisand / Cousinade : 18 sept.2010)
Les photos des Chartreux, ci-dessus, comme celles insérées dans le texte, ont été prises à la Cité de l’Architecture et du Patrimoine (ex-musée des monuments français, place du Trocadéro, Paris). Il s’agit de moulages des « pleurants » des tombeaux des Ducs de Bourgogne.
Les « vrais » pleurants, quant à eux, ont profité des travaux engagés au musée des Beaux-Arts de Dijon pour partir en voyage (!) aux Etats-Unis, où ils vont de musée en musée, et ne rentreront à Dijon qu’à l’automne 2013, après leur tournée américaine prolongée à Bruges, Berlin et Paris.
A l’occasion de cette tournée, un site a été créé en leur honneur que vous pouvez découvrir en cliquant sur le lien ci-dessous: vous pourrez les admirer en agrandissant l’image de chacun d’entre eux et en la faisant tourner sur 360° ( +vision en 3D avec les « bonnes » lunettes).
Les Archives départementales de la Côte-d’Or ont mis en ligne ce magnifique document qui est l’acte d’association de prière des Chartreux de Champmol et des Bénédictins de Saint-Bénigne, rédigé à Dijon le 28 avril 1411. (Archives départementales de la Côte-d’Or, e-publications, joyaux d’archives 2008)
A première vue, on pourrait penser que cet acte est la preuve de la bonne entente qui régnait à Dijon entre les deux ordres monastiques. En réalité,c’est au contraire la preuve que la querelle entre Chartreux et Bénédictins a été durable. Elle avait commencé, comme nous l’avons relaté, en 1378 avec la longue résistance des Bénédictins avant qu’ils n’acceptent de vendre au Duc pour le compte des Chartreux les vignes qui entouraient l’étang-l’abbé au-dessus de Champmol. Apparemment elle a continué longtemps après la mort de Philippe le Hardi, jusqu’à cet accord sans doute suscité par de hauts responsables écclésiastiques, désireux d’éteindre cette mauvaise querelle, et scellé par la conclusion solennelle d’une association de prières entre les deux monastères.
Les Archives de la Côte-d’Or décrivent ainsi le document : « Les rinceaux qui se développent en haut à gauche de l’I initial orné du mot In portent deux moines assis face à face : un chartreux et un bénédictin ; sur le phylactère déployé au dessus d’eux on peut lire en latin ces mots tirés de l’épître de Saint Jacques (V, 16) : « Prions les uns pour les autres afin d’être sauvés ». Dans le N initial de nomine se distingue une figuration de la Sainte-Trinité sous l’invocation de laquelle était placée la Chartreuse ».
Vous pourrez découvrir le document, plus agrandi, en cliquant sur le lien ci-dessous :
Le Chardenois a le plaisir de vous annoncer la naissance de Longus Campus. Il ne s’agit pas d’un nouveau-né de notre grande tribu, mais d’une nouvelle association longchampoise dont le but est de faire connaître le patrimoine culturel de Longus Campus (nom originel de Longchamp que l’on trouve sous cette forme latine dans les vieux grimoires dès le VIème siècle).
Vous aviez peut-être déjà découvert la création de cette association en lisant le commentaire laissé par son fondateur début mars dans notre blog. Pour leur part, les administrateurs du Chardenois ont salué la création de Longus Campus en donnant leur accord pour participer notamment sur le plan iconographique à la préparation d’une exposition sur la Faïencerie.
Emmanuel Florentin, qui est à l’initiative de la création de l’association, est le fils de Paul, dont la maison est mitoyenne de la villa du Chardenois, et de Marie-Thérèse (†) , née Testori, laquelle a travaillé à la Faïencerie, au façonnage. Paul, pour sa part, travailla deux ans à l’usine, au moulage, avant de devenir militaire de carrière. Le père de Marie-Thérèse, Séraphin, fut responsable de la ferme du Château, qui appartint à la Faïencerie pendant la guerre et dans l’immédiat après-guerre, puis il fut employé aux presses à terre ; Albina, son épouse, fut un temps en charge de la cantine de la Faïencerie. Les grands-parents paternels d’Emmanuel travaillèrent tous deux à la Faïencerie, Auguste, aux fours dont il fut l’un des responsables, et Zette (Georgette) à la décoration, du temps de la Reine. Zette était d’une famille de Longchamp, les Rémond ; son père avait lui-même travaillé à l’usine au début du XXème siècle. Sur la photo de titre, qui représente les médaillées du travail de la Faïencerie le 13 juin 1962, jour de la fête de St-Antoine de Padoue (patron des faïenciers), Zette, en chapeau blanc, est la 3ème personne en partant de la gauche. Avec de tels antécédents longchampois et faïenciers, Emmanuel Florentin a sans aucun doute le bon profil pour développer avec succès l’association Longus Campus !
Vous pouvez découvrir l’association en cliquant sur le lien suivant : http://www.longuscampus.com/
Souhaitons longue vie à Longus Campus !